Signature de la tribune “GAFAM VS MEDIAS : L’URGENCE DEMOCRATIQUE”
25 avril 2018.
GAFAM VS MEDIAS : L’URGENCE DEMOCRATIQUE
La société a déjà changé en profondeur. Internet, ses moteurs de recherche, ses réseaux sociaux et
ses nouveaux circuits de distribution ont modifié nos modes de vie et de consommation. La
révolution numérique s’est déroulée sans violence, et même sans résistance, puisque l’aspiration
unanime des individus et des territoires au réseau mondial fait du très haut débit un Cinquième
Élément inattendu. L’eau, l’air, la terre, le feu, le Wi-Fi.
Disposer de produits et services à l’échelle mondiale et être livré en 24 heures n’est pas
nécessairement un progrès humain mais c’est une évolution inéluctable, devenue quasiment un
droit aux yeux de nos concitoyens. Accéder à l’information et à la connaissance, immédiatement et
gratuitement est en revanche une opportunité formidable dans l’édification intellectuelle des
acteurs sociaux et l’ouverture au monde des citoyens. Des esprits toujours plus éclairés sont autant
d’armes pacifiques de la démocratie.
Mais aussi positive soit-elle, toute puissance nouvelle porte en elle-même les risques de sa toute-
puissance. Et les GAFAM n’y échappent pas. Leur évolution fulgurante et supranationale les a placés
au-dessus des règles fiscales et ils paient trop peu d’impôts ; elle les a exonérés de responsabilité
juridique et ils diffusent des fake news ou la propagande djihadiste ; elle les a dotés d’un modèle
économique singulier et ils peuvent entraîner la mort sans intention de la donner à des millions
d’agriculteurs ou de PME concurrencés par des importations à bas coût, d’hôteliers ou de
propriétaires immobiliers supplantés par des sites de location temporaire, de transporteurs publics
ou privés bousculés par des services de chauffeurs privés. Et ils peuvent étouffer la presse, son
indépendance financière et son pluralisme en captant la majeure partie de ses recettes publicitaires.
C’est une chance démocratique que la numérisation de la presse ait conduit à doubler son lectorat.
Mais c’est un risque létal que les méga-réseaux préemptent 80% du marché des annonceurs. Car la
forte progression du numérique ne compense pas la baisse régulière du papier. Il y a donc urgence
démocratique. Au regard de la chaîne de valeurs, il est déjà absurde que l’on paie plus cher le tuyau
que son contenu. Économiquement, il est clair que la presse a besoin des réseaux pour élargir son
public et que les réseaux tirent leur attractivité de diffusions qualitatives. Mais financièrement, le
risque de disparition par suffocation des éditeurs de presse nationale, régionale, spécialisée, devient
certain. Et dans son sillage, ce sont tous les journalistes, leur travail, leur exigence déontologique et
leur indépendance qui sont menacés.
Nous savons que les médias ne sont pas restés inactifs pour obtenir une plus juste répartition des
recettes. Mais ils ont toujours échoué devant les tribunaux à faire reconnaître que, si la liberté de la
presse n’a pas de prix, elle a un coût. Et ils n’ont jamais pu amortir les investissements pourtant
substantiels – plusieurs dizaines de millions d’euros – réalisés pour leur transition numérique.
L’affrontement TF1/Orange/Canal+ a d’ailleurs relancé de façon aussi spectaculaire
qu’insatisfaisante le sujet de la valorisation des contenus.
De même que le gouvernement se prépare à légiférer sur la responsabilité fiscale et pénale des
moteurs de recherche et des réseaux sociaux, il convient donc que le Parlement complète ce
dispositif par de nouveaux droits octroyés au monde de la presse, consacrant la propriété
intellectuelle de son travail et sa capacité à en négocier la valeur.
Concrètement, il s’agit de créer des « droits voisins » du droit d’auteur, sur le modèle de ceux existant
pour les labels avec la SACEM, ou les clubs de sport avec les droits TV. Il est d’ailleurs saugrenu qu’on
reconnaisse une valeur au journalisme plus tardivement qu’au football. Et il convient surtout de
permettre une négociation et une gestion collectives de ces droits pour renforcer médias et
journalistes face aux géants d’internet.
Ce débat – dont la technicité apparente explique sans doute la procrastination – avait été ouvert en
2012 à l’Assemblée nationale, puis en 2016 au Sénat, sans suite concrète. Pourtant, c’est du
financement de la presse et du travail journalistique dont il s’agit ! Il ne faudrait pas attendre que les
médias soient irréversiblement abîmés pour légiférer sur leur avenir.
Nous faisons le pari que les GAFAM sont prêts à assumer leur rôle et leur responsabilité dans un
monde démocratique qu’ils doivent, dans leur intérêt, préserver dans la mesure où il les nourrit.
Une loi nouvelle sera donc présentée le 17 mai prochain dans la fenêtre parlementaire du MoDem.
Inscrit dans la majorité présidentielle, il est symbolique qu’il revienne au mouvement que François
Bayrou avait appelé démocrate il y a dix ans, de porter un texte qui consoliderait l’avenir de la presse.
Tant il conditionne celui de la démocratie.
Signataires : M. Erwan Balanant ; Mme Géraldine Bannier ; M. Jean-Noël Barrot ; Mme Justine Benin ; M. Philippe Berta ; M. Philippe Bolo ; M. Jean-Louis Bourlanges ; M. Vincent Bru ; M. Jean-Pierre Cubertafon ; Mme Marielle de Sarnez ; Mme Michèle de Vaucouleurs ; Mme Marguerite Deprez-Audebert ; M. Bruno Duvergé ; Mme Sarah El Haïry ; Mme Nathalie Elimas ; Mme Nadia Essayan ; M. Michel Fanget ; M. Marc Fesneau ; Mme Isabelle Florennes ; M. Bruno Fuchs ; Mme Patricia Gallerneau ; M. Laurent Garcia ; M. Brahim Hammouche ; M. Cyrille Isaac-Sibille ; Mme Élodie Jacquier-Laforge ; M. Bruno Joncour ; M.Jean-Luc Lagleize ; M. Fabien Lainé ; M. Mohamed Laqhila ; Mme Florence Lasserre-David ; M. Philippe Latombe ; Mme Aude Luquet ; M. Max Mathiasin ; M. Jean-Paul Mattei ; Mme Sophie Mette ; M. Philippe Michel-Kleisbauer ; M. Patrick Mignola ; M. Bruno Millienne ; M. Jimmy Pahun ; M. Frédéric Petit ; Mme Maud Petit ; Mme Josy Poueyto ; M. Richard Ramos
; M. Thierry Robert ; M. Nicolas Turquois ; Mme Laurence Vichnievsky ; M. Sylvain Waserman.
Tribune publiée dans Le Figaro le 18 avril 2018